Cuisiner responsable
De la culture des algues à la recherche de plantes sauvages, en passant par l'exploration de nouvelles variétés de poissons d'eau profonde pour réduire la pression sur les espèces surexploitées, cette discussion a mis en lumière la manière dont nos choix en tant que consommateurs peuvent influer sur l'avenir de l'alimentation.
« La haute gastronomie n’est que la partie émergée de l’iceberg », a commencé Alain Ducasse, « des millions de personnes mangent à l’extérieur et pour qu’elles mangent bien, nous devons changer la façon dont nous leur offrons de la nourriture. En tant que chefs, nous sommes responsables des mouvements de consommation, et c’est à nous d’user de notre influence pour les changer ». Le Chef a ajouté que « les algues sont l’une des clés pour mieux manger ».
En effet, les vertus des algues comestibles ne manquent pas, comme le souligne Mauro Colagreco, « les algues sont des plantes C4, qui captent plus de CO2. Elles ont un grand impact sur la planète, avec l’Amazonie, elles sont les poumons de la Terre ». En effet, les algues sont responsables de la production de la moitié de l’oxygène que nous respirons.
En outre, les algues se régénèrent plus rapidement que les cultures terrestres, comme l’explique Jean-Marie Pédron, récolteur d’algues : « Au cours d’une saison de récolte, je peux durablement récolter trois fois la même biomasse, car elle se régénère très vite. » Néanmoins, il le fait de manière responsable, puisqu’il ne ramasse qu’un tiers de la grappe, laissant un tiers pour la consommation des poissons et un tiers pour que la plante puisse repousser, ce qui lui permet de rester circulaire. De plus, il précise que les algues sont cultivées sans engrais, ni herbicide, ni pesticide. Pourtant, malgré les 5 500 km de côtes françaises, seuls 5 % des algues du pays sont consommés. « Les Japonais nous envient notre potentiel de culture d’algues le long de l’Atlantique », s’est-il réjoui. Jean-Marie Pédron a également rappelé que dans les années 1950 la cueillette des algues était une pratique courante en France, mais que cette culture s’est perdue.
Butineur de plantes sauvages à Écouché-les-Vallées, Pierre-Édouard Robine – également écologiste et ornithologue – ne récolte que des plantes sauvages qu’il fournit à de grands restaurants. Il compare sa démarche à de la haute couture, où de nouveaux ingrédients locaux, aux saveurs et aux attributs totalement inédits, viennent agrémenter une recette. « La gastronomie peut évoluer au sein d’une microrégion. Plutôt que d’apporter des produits exotiques de l’étranger, on peut trouver des plantes sauvages extraordinaires chez soi. Chacun devrait pouvoir accéder à ce type de nourriture », explique-t-il.
Les chefs Ducasse et Colagreco ont tous deux souligné l’importance d’une consommation locale. « Dans mes restaurants, nous utilisons ce que nous avons localement. C’est un mouvement qui ne s’arrêtera pas », a déclaré Alain Ducasse.
Au Mirazur de Menton, Mauro Colagreco dispose d’un jardin de 3 hectares qui rythme la cuisine. « Si tout le monde ne peut pas cultiver ses propres produits, tout le monde peut choisir de travailler avec des fournisseurs artisanaux de qualité. Nous façonnons le monde dans lequel nous vivons par la façon dont nous choisissons de manger », a-t-il déclaré. Le Mirazur est également le premier restaurant à ne pas utiliser de plastique, un exploit qui a pris des années à se réaliser.
Pour clore le sujet de l’approvisionnement responsable, Alain Ducasse a ramené la discussion aux générations futures : « Nous avons 2 000 étudiants dans le monde qui apprennent l’art de la cuisine française : cuisiner, s’approvisionner de manière responsable, réduire les déchets et respecter l’environnement. Engager ces chefs de demain est l’un des moyens d’accélérer le mouvement ».
MESSAGES CLÉS
- Les chefs ont le pouvoir de faire de la gastronomie durable une réalité.
- Les algues sont une ressource sous-utilisée, bénéfique pour l’environnement et qui peut être cultivée de manière durable.
- La cueillette de plantes sauvages est une alternative durable à l’importation et permet de découvrir une myriade d’options savoureuses.